Le 8 septembre 2025, le Népal a vécu l'un des épisodes les plus sombres de son histoire, de ceux qui marquent un pays, de ceux qui font date. Au moins. 72 manifestant·es sont mort·es dans les rues de Katmandou et plus de 400 ont été blessées suite à un mouvement de manifestations qui dénonçaient la corruption, le népotisme et l’opacité de la classe politique du pays, menant à la démission du premier ministre en à peine 30 heures. Pour Sonia Awale, rédactrice en cheffe du Nepali Times, il s’agit moins d’un sursaut démocratique que du ras-le-bol d’une jeunesse qui considère qu’elle a déjà donné beaucoup de secondes chances à des représentant·es qui ne les représentent plus et laissent le pays dans l’immobilisme.
par Clothilde Le Coz
Pour Sonia Awale, il y a un avant et un après 8 septembre. La rédactrice en cheffe du quotidien Nepali Times nous a confié que chaque jour de cette deuxième semaine de septembre revêtait une signification particulière. "Nous n'avons pas seulement perdu des jeunes femmes et hommes. Dans ce processus de changement de régime, nous avons perdu un peu de notre humanité.” Derrière les clichés au goût de révolution se tramaient des scènes bien plus dramatiques pour les années à venir. "Notre Parlement et notre Cour Suprême ont brûlé par exemple. Ce sont des milliers de dossiers qui n'aboutiront jamais, des milliers de personnes qui n’obtiendront jamais justice", confie-t-elle. Portée par l'espoir, elle veut croire que tout cela ne sera pas vain et a accepté de revenir sur ces événements pour nous parler de la politique dans son pays… qui n'est pas sans nous interpeller sur la nôtre.
Peux-tu expliquer ce qui a provoqué le mouvement qui a donné lieu à cette répression inédite à Katmandou ?
De manière générale, j'attribue cela à la frustration de la GenZ face à une classe politique qui s'est déresponsabilisée, détachée de ses préoccupations et surtout devenue la figure de proue d'une corruption décomplexée. Le Népal est une jeune république (la monarchie est abolie depuis 2008) et depuis 2019, la politique du pays est dominée par les coalitions politiques. Depuis trois ans environ, nous avons assisté à une série d'alliances électorales pensées uniquement pour conserver le pouvoir. Contrairement à ses voisins d'Asie du Sud, le Népal jouit encore d'une liberté d'expression et d'une liberté de ton qui se manifestent notamment sur les réseaux sociaux. Face à cette frustration et à un contexte politique qui ne permet aucune évolution, le hashtag #Nepobabies est devenu un véritable phénomène en ligne pour dénoncer le népotisme et la corruption qui rongent le pays. Le 5 septembre, le gouvernement a décidé de censurer 26 applications permettant d’accéder à des réseaux sociaux, enlevant à cette jeunesse la possibilité d’exprimer son mécontentement et de dénoncer ces crimes. La manifestation du 8 septembre est la traduction dans la rue de ce qui se passait en ligne mais qui ne pouvait plus s’y manifester.