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“Je ne veux plus être la seule femme sur la photo”

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

02 mai

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“Je ne veux plus être la seule femme sur la photo”

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

02 mai

Lors de l’intersyndicale du 10 décembre 2022, à la Bourse du travail, qui fait suite aux annonces de la Première ministre sur la réforme des retraites, et rassemble les 8 syndicats les plus importants, Murielle Guilbert, co-déléguée de l’Union Syndicale Solidaires, est la seule femme présente. Une anomalie qu’elle dénonce dans un texte publié sur le site de Libération et qu’elle a intitulé « Je ne veux plus être la seule femme sur la photo ». Depuis le 31 mars 2023, elles sont maintenant deux, puisque Sophie Binet a succédé à Philippe Martinez à la tête de la CGT, première femme à occuper ce poste. La question demeure pourtant d’actualité : comment se fait-il que les femmes qui représentent 48,9% des actif.ves (chiffre de 2021) soient si peu représentées dans les syndicats ? Un état de fait d’autant plus alarmant qu’elles occupent souvent des emplois plus précaires. Qui alors pour défendre les travailleuses ? Qui pour réfléchir aux spécificités genrées de l’accès à l’emploi ? Qui pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles au travail ?

Au-delà de ces questions, il faut revenir de nombreuses décennies en arrière, à la fin du XIXème siècle et en pleine industrialisation, le travail ouvrier se féminise. Dans les milieux ouvriers qui commencent à se mobiliser (les syndicats seront légalisés en 1884 grâce à la loi Waldeck-Rousseau) contre la pénibilité des conditions de travail, l’arrivée des femmes dans les usines est perçue comme une menace. En effet, ces dernières acceptent des salaires plus bas (entre 40 et 50 % de moins que les hommes) et la charge du travail domestique et parental les rend souvent indisponibles à la mobilisation contre les patrons. La participation des femmes aux grandes grèves de la fin du XIXème et au début du XXème siècle change un peu la donne. Les mobilisations spectaculaires des corsetières de Limoges (108 jours de grève) en 1895, des sardinières de Douarnenez (115 jours de grève) en 1905 prouvent l’influence et la présence des femmes dans les combats sociaux, leur endurance à la lutte (115 jours de grève d’affilée !). En 1921, une femme est élue au poste de secrétaire fédérale de la CGTU de l’alimentation. Pendant les grands mouvements sociaux de 1936 et de 1968, les femmes se mobilisent massivement. La présence des femmes dans les syndicats, que ce soit dans les instances militantes ou à des postes de cadres dans les fédérations, n’a cessé d’augmenter mais comme pour la place des femmes dans les assemblées politiques, leur accession se fait par à-coups, avec autant d’avancées que de défaites et en 2023, alors que se dessinent les contours d’une nécessaire mobilisation pour des conditions de travail plus décentes, les femmes restent invisibles dans les rangs des syndicats.

Elles ont pourtant bénéficié des grands débats sur la parité en politique. Dès 1982, la CFDT instaure une mixité proportionnelle au nombre d’adhérent·es et en 1999, la CGT instaure la parité. Il faut attendre la loi Rebsamen de 2015 pour que tous les syndicats se voient obligés de constituer des listes qui respectent une mixité proportionnelle pour les élections professionnelles.

Si ces lois ont été vertueuses, la parité dans les syndicats se heurte aux mêmes écueils que la parité en politique. Le temps du militantisme syndical est un temps qui empiète sur la sphère privée. Il est difficile pour les femmes qui ont des enfants de participer à des réunions le soir et de rajouter à leur temps de travail, des heures en plus. Cela a pour effet d’atténuer la diversité de la présence syndicale des femmes et la prédominance des cadres, dont on imagine qu’elles ont plus de facilité à trouver de l’aide et des relais dans leur vie domestique, au détriment des ouvrières. C’est tout une « expérience » de l’emploi, et la plus précarisée et fragile, qui disparaît alors de la lutte syndicale. Résultat, non seulement les femmes sont moins représentées, mais l’intersectionnalité de leurs combats disparaît aussi.

La question de la féminisation des syndicats est d’autant plus cruciale, que la répartition des femmes dans les différents secteurs de l’emploi est beaucoup moins homogène que celle des hommes. Leurs carrières le sont tout autant, entrecoupées souvent par la maternité et la gestion de la vie domestique. C’est aussi cette question qu’il faut poser, celle de la spécificité de l’emploi féminin, de sa juste représentation et de sa juste défense. Le débat sur la réforme des retraites l’a encore démontré, puisqu’elles seront parmi les professionnel.les les plus défavorisé.es par la proposition de loi du Gouvernement.

Il existe des solutions, bien sûr, pour favoriser la présence et la visibilité des femmes dans les syndicats : valoriser les expériences syndicales dans l’évolution des carrières, muscler encore les règles de parité et de mixité, lutter contre les violences sexistes et sexuelles. L’augmentation du taux de syndicalisation des femmes est, sans nul doute, un énorme enjeu pour les syndicats, surtout en France où la syndicalisation est en perte de vitesse. Les femmes représentent une possibilité d’accroître les effectifs, d’apporter aussi un autre regard sur la manière de militer, sur le rapport au temps et à l’engagement.

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