Pourquoi les femmes demandent-elles moins l’asile ?

Alors que 21 des 27 ministres de l’Intérieur des pays de l’Union Européenne (UE) parviennent à un accord qualifié “d’historique” sur la relocalisation des demandeureuses d’asile au sein de l’UE, chez Popol, on a jugé intéressant de mettre en perspective le fait que moins d’une demande d’asile sur 3 en Europe émane d’une femme. Pourquoi ? Quelles sont les raisons de ces demandes et que cela dit-il ?

Aujourd’hui dans le monde, la majorité des personnes en situation de migration sont des femmes (51,8%). Au sein de l’UE, l’asile représente 9% des motifs de migration et les conflits, les situations politiques ou économiques dégradées, restent les principales raisons de ces demandes. En 2022, elles étaient presque 1 million. Moins de 30% de ces premières demandes d’asile ont été formulées par des femmes. Dans les faits, c’est souvent l’homme que l’on « envoie » chercher du travail en Europe. S’il arrive à dépasser la violence et les difficultés rencontrées lors du parcours migratoire ainsi que celles rencontrées à l’arrivée, il pourra potentiellement envoyer de l’argent à ses proches. Le parcours migratoire, du fait des violences et dangers systémiques, est un parcours où les traitements inhumains sont légion. Les femmes et les minorités de genre n’y échappent pas évidemment pas. 

Mais comme les Nations-Unies l’écrivent très bien : “le déséquilibre radical du nombre d’hommes et de femmes à obtenir l’asile dans les États de l’UE est potentiellement déstabilisant pour les pays d’accueil et pour les pays d’origine des réfugié·es. Il est nécessaire d’avoir un engagement juridique et politique plus ferme pour protéger les femmes qui ont survécu à la persécution fondée sur le genre pour inverser cette tendance”.

Double peine

Car en effet, les demandeuses d’asile fuient parfois leur pays pour échapper à des violences (trafic humain, mutilations et mariage forcé, etc.). Bref, des violences fondées sur le genre. Première peine donc : être une femme.

En mars 2023, les 4 nationalités les plus représentées dans les premières demandes d’asile vers l’UE étaient syriennes (11%), afghanes (10%), vénézueliennes (7%) et colombiennes (7%). La Syrie en raison du conflit depuis 12 ans, l’Afghanistan en raison du retour des Taliban et le Venezuela et la Colombie en raison de l’exemption faite des visas pour entrer dans l’espace Schengen pour une courte durée. (Les personnes qui fuient l’Ukraine sont protégées d’office, sans avoir à passer par une procédure de demande d’asile. Elles sont 4 millions.) Pour la 1ère fois en 2021 en France, les premières demandes d’asile d’Afghanistan traditionnellement masculines, émanaient à 51% de femmes suite à l’arrivée des Taliban au pouvoir. Cela montre encore que la demande féminine est souvent formulée pour fuir des violences.

Et si l’asile n’est pas refusé, n’oublions pas la difficulté de la représentation du statut d’étrangèr·e dans les pays dits “d’accueil”. Faute d’une politique d’accueil en France, la demande d’asile y est souvent utilisée dans des parcours migratoires pour obtenir un titre de séjour car cela reste le moyen le plus sûr de se maintenir dans le pays le temps que la demande soit examinée.

Notons aussi que les procédures administratives sont très difficiles en France, même pour les femmes victimes de violences sexuelles et sexistes. En 2020, seules 100 cartes de séjour ont été attribuées à des femmes étrangères à la suite d’une ordonnance de protection. Et l’on sait tout le travail qu’il y a à faire pour améliorer l’accès au droit des femmes étrangères afin de favoriser leur autonomie sociale et économique, assurer leur protection quand elles sont victimes de violences, sécuriser leur situation administrative etc. Seconde peine : être étrangère dans un pays “d’accueil”.

Les États pourront « acheter leur conscience »

L’accord récemment trouvé au sein de l’UE devrait être finalisé avant les élections européennes de juin 2024. En vertu de ce dernier, les États considérés “en première ligne” seraient tenus d’instaurer une procédure d’asile plus stricte à la frontière pour les personnes jugées peu susceptibles d’être acceptées. Ils auraient également une plus grande marge de manœuvre pour renvoyer les candidat·es rejeté·es. Une nouvelle procédure frontalière accélérée serait donc mise en place pour les personnes qui ne pourraient pas obtenir l’asile, afin de les empêcher de s’attarder à l’intérieur du bloc pendant des années. Notons au passage qu’en réformant son système, l’UE donne « une valeur » à l’entrée d’un·e demandeureuse d’asile sur son territoire. En effet, quand ils ne sont pas “en première ligne”, les pays de l’UE auraient le choix d’accepter un certain nombre de personnes en situation de migration chaque année ou de contribuer à un fonds commun de l’UE, à raison d’environ 20 000 euros par personne (en cash, équipement ou RH). L’Europe « humaniste » doit certainement être en train de se retourner (pour une énième fois) dans sa tombe… 

Clothilde Le Coz

  • 16 juin 2023