Pourquoi fait-il meilleur en Espagne ?

L’Espagne est aujourd’hui considérée comme figure de proue des droits des femmes et des personnes LGBTQIA+ en Europe. Les discriminations, féminicides et attaques sexistes perdurent mais ont la vie dure. Chez Popol nous nous sommes intéressées aux raisons qui en font un pays en pointe en la matière.
Pays de tradition catholique, qui compte aujourd’hui plus de femmes que d’hommes au sein du gouvernement, l’Espagne a inscrit le consentement aux priorités de l’agenda politique, au centre du code pénal et ne s’arrête pas là. On vous en avait déjà parlé ici ; depuis le 7 octobre 2022, la loi sur le consentement existe. C’est révolutionnaire car c’est officiellement à l’homme de prouver que la femme est d’accord (« Solo si es si ») et non plus à la femme de démontrer qu’elle a été victime d’un viol. Cette loi fait aujourd’hui à nouveau débat sur les sanctions qu’elle inflige mais plus sur la notion centrale de consentement.
Le 16 février 2023 , deux lois sans précédent ont été adoptées par les député·es. L’une créé un congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses et facilite l’accès à l’IVG dans les hôpitaux publics ; l’autre simplifie les démarches pour les personnes transgenres qui souhaitent changer de nom et de genre officiellement. Elle interdit également les thérapies de conversion.
La porteuse de ces projets est Irene Montero, femme politique et militante féministe et ministre de l’Egalité depuis janvier 2020. Connue pour ses discours déterminés et déterminants, elle a qualifié ces dernière décisions d’ « historiques pour les droits des femmes et des personnes transgenres ». Comment en sont-elles arrivé là ?
D’abord, l’existence d’un mouvement féministe puissant et politique, sans cesse rappelé à ses combats. Les Espagnoles ont conquis le droit de vote dès 1931, tout comme le divorce par consentement mutuel (déjà… le consentement) et celui de se marier civilement. Le droit à l’IVG est quant à lui adopté en 1936. Les années franquistes font évidemment sauter ces conquis en même temps qu’elles renforcent la volonté des femmes de se battre pour les récupérer. Il ne faudra que 17 jours aux féministes espagnoles pour organiser leur premier congrès après la mort de Franco en 1975. Aujourd’hui, les deux partis de gauche participent au gouvernement (PSOE avec 120 sièges, Unidas Podemos avec 35 sièges). L’accord qui leur permet de gouverner ensemble comprend d’ailleurs un chapitre spécifique sur les politiques de genre.
Ensuite, une prise de conscience collective qui montre un changement nécessaire. En 2018, la condamnation laxiste pour « abus sexuels » et « abus de faiblesse » de cinq hommes accusés d’un viol collectif – l’affaire date de 2016 et est connue sous le nom de « La Manada » (la meute) – a suscité une vague de protestation dans le pays. C’est à cela que la loi sur le consentement fait écho. Ce mouvement a été un moment révélateur et transformateur pour le mouvement féministe espagnol, qui, a rassemblé les voix contre la montée de l’extrême-droite et du machisme qui le caractérise. Depuis sa création en 2014, le parti d’extrême droite VOX monte en puissance. Il compte 52 sièges au Parlement depuis 2019 (c’est plus que Unidas Podemos) et a fait de son combat contre le féminisme un argument identitaire.
C’est parce que le mouvement féministe espagnol revêt un tel poids politique qu’il est possible aujourd’hui de mieux identifier les inégalités structurelles de genre et de lutter contre au travers de lois encore trop souvent qualifiées de « radicales » et « révolutionnaires ». Pour en revenir à notre propos plus haut, l’Espagne nous montre une chose : pour que la lutte avance, il est décisif d’investir le féminisme dans une perspective politique.
Clothilde Le Coz