Pour une politique étrangère (vraiment) féministe

Ce n’est pas nouveau, les déclarations d’Emmanuel Macron font réagir à l’étranger. En un mois seulement, on compte un discours chahuté aux Pays-Bas, le refus d’un “suivisme” européen qui agace les États-Unis et l’Europe, tout comme le fait de s’être posé en porte-parole de l’Union européenne, sans en toucher mot à cette dernière. On est passé de la défense de valeurs à la défense d’intérêts, tout en cédant à la pression médiatique, devenue une donnée structurelle en matière de politique étrangère. En septembre 2022, il a d’ailleurs demandé aux Ambassades françaises d’être plus réactives sur les réseaux sociaux pour contrer la propagande antifrançaise, en faisant un axe prioritaire d’action.
Le gouvernement français se targue de pratiquer une “diplomatie féministe”. Où est-elle ? Depuis 2018, la France a lancé sa “diplomatie féministe”, dont les axes principaux sont de lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes, mettre en œuvre le forum Génération Égalité, un forum initié par l’ONU sur les femmes (le 1er a eu lieu en 1995, ce deuxième forum qui a eu lieu à Paris en 2021 a lancé un « plan d’accélération mondial »), créer une norme ISO pour l’égalité femmes-hommes d’ici la fin de l’année et promouvoir l’égalité femmes-hommes pendant la présidence française de l’UE (6 mois de janvier à juin 2022). Cette diplomatie est régie et mise en œuvre en majorité par des hommes évidemment (72 % sont des Ambassadeurs). La parité est encore inexistante aux postes à responsabilité dans la diplomatie et dans les ministères à forte composante internationale (ministère des Armées, ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance). Il semble donc que le gouvernement confonde diplomatie féministe et actions de la France à l’international pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Et c’est bien compréhensible car il n’existe pas de définition de la diplomatie « féministe » dans la stratégie du gouvernement en tant que telle.
Ce n’est pourtant pas faute d’être conseillé·es et de pouvoir s’inspirer de ce qui se fait ailleurs. La diplomatie féministe ce n’est pas seulement proposer des actions en faveur de l’égalité entre les genres. C’est promouvoir l’égalité de toutes les personnes et avoir cette approche holistique et intersectorielle dans toutes les relations entre États. À la différence de la Suède et du Canada, pourquoi la France n’inclut-elle pas la politique commerciale dans le champ de cette diplomatie ?
Depuis 2020, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) – qui a pour mission d’évaluer les politiques publiques sur la question – a déjà émis 19 recommandations pour renforcer cette approche, dont 3 pour inclure une perspective de genre dans la politique commerciale (assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les équipes de négociation, intégrer une perspective de genre dans les accords commerciaux et porter ces enjeux dans les instances économiques mondiales). Tant qu’elle n’est pas définie et ne s’applique pas aux institutions qu’elle souhaite défendre et/ou mettre en valeur, la politique étrangère féministe restera symbolique et performative, un simple “slogan mobilisateur” et non une traduction de la volonté transformatrice des rapports sociaux de genre.
S’agit-il encore de passer en force ?
Voici un mois que les États Généraux de la diplomatie ont été clôturés par l’annonce d’une augmentation “inédite” de moyens pour le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères afin de “réarmer la diplomatie française”. En même temps, la réforme de la haute fonction publique décidée l’année dernière par Emmanuel Macron est sans appel : le corps diplomatique est supprimé, au profit des opérateurs de terrain dans l’espoir de dynamiser la diplomatie. Avec cette méthode, il ne s’agit plus vraiment de négocier mais de montrer son influence et son pouvoir. On récapitule : Ambition 1 : remettre les intérêts de la France au sein de la stratégie de la politique étrangère et Ambition 2 : montrer son influence. Un peu patriarcal non?
Chez Popol, on pense que cette vision des relations entre États ne peut pas réellement aider à s’attaquer aux stéréotypes, aux normes et aux lois discriminantes envers les femmes, de l’enfance à l’âge adulte. Parce que quand on utilise soi-même les stéréotypes, – notamment en créant des normes – on ne peut pas prétendre lutter contre. Parce que quand on laisse les lois discriminer les femmes chez soi, on ne peut pas non plus prétendre à l’inclusion ailleurs.
Le HCE s’est pourtant déjà attelé à définir la politique étrangère féministe : “La diplomatie féministe est la politique d’un État qui place l’égalité entre les femmes et les hommes, la liberté et les droits des femmes, la lutte pour l’abolition du patriarcat au cœur de son action extérieure, dans l’ensemble de ses dimensions (aide publique au développement, diplomatie stricto sensu, commerce et économie, culture, éducation, influence, défense et sécurité, climat et environnement…). Pour ce faire, elle assure la participation, à parts égales, des femmes et des mouvements féministes (dans le pays et à l’extérieur du pays) à sa co-construction et à sa mise en œuvre. Elle alloue des ressources importantes sur la durée à la réalisation de cet objectif et elle met en place, au sein de l’État, une organisation institutionnelle et administrative dédiée et pérenne, qui permette d’assurer la cohérence des politiques et qui inclut un système de redevabilité.” Alors pourquoi ne pas commencer par là ?
Clothilde Le Coz