Où sont les vieilles ?

Les Flamboyantes de Charlotte Montpzat, Et si les femmes avaient le droit de vieillir comme les hommes ? de Amanda Castillo, Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple de Didier Eribon, Vieille peau de Fiona Schmidt (à paraître aux Éditions Belfond le 16 mai prochain)… Discrètement mais courageusement, un thème s’installe sur les étals de nos libraires, celui de la vieillesse et notamment celle des femmes. Souvent coincé entre un empowerment faux derche à coup de « vieillir c’est dans la tête », des histoires de retraites fantasmées toutes en bamboche sur des bateaux de croisière, et des études sociologiques plus effrayantes les unes que les autres sur des Ephad insalubres, le sujet est aussi tabou qu’ingrat. Qui pourrait bien avoir envie de lire des histoires aussi démoralisantes ? Il sera toujours temps de se poser la question de qui poussera le fauteuil roulant et en attendant, on peut toujours s’acheter des crèmes antirides et se dire que « soixante ans c’est le nouveau trente ans ». Il était temps pourtant de se pencher sur le sujet et la crise du COVID, l’enquête glaçante de Victor Castanet sur les maisons de retraite Orpéa et le récent débat sur la réforme des retraites nous obligent toutes et tous à politiser cette dimension-làde nos vies.
Toutes plus que tous d’ailleurs. Car vieillir quand on est une femme, dans une société capitaliste et patriarcale, ce n’est pas « seulement dans la tête ». Chaque femme, au fond d’elle le sait ou l’expérimente, le vieillissement accentue les inégalités de genre tout au long de la vie. Et il ne s’agit pas de coquetterie, ni de vanité, cela dépasse largement le botox et le body positivisme, il s’agit de discriminations systématiques, trop rarement politisées, qui influent sur la vie des femmes et ce depuis la puberté, qui marquent leur rapport au corps, à la sexualité, mais aussi leur rapport au travail, leur place dans la société. Et plus les femmes avancent en âge, plus ces discriminations augmentent.
Outre cette injonction à « bien vieillir », à se faire la plus discrète possible quand sonne l’heure de la ménopause et avec elle la fin de la fertilité, les femmes sont aussi en première ligne du grand âge et de la dépendance. En 2022, les + de 65 ans représentaient 1 français·e sur 5 mais 76% d’entre elleux sont des femmes. Dans les Ehpad, 8 pensionnaires sur 10 sont des femmes. La vieillesse en France est donc une affaire de femmes. Doublement d’ailleurs, puisque 90% des personnes qui travaillent dans des Ehpad sont des femmes (en revanche, elles sont seulement 60% à des postes de cadre…). Et si l’on décline les professions, 61% des gériatres sont des femmes, 70% des kinés, 89% des infirmières, 93% des aides soignantes et 95% des aides à domicile et des auxiliaires de vie. Ces fameux métiers dits « du care » ont donc pour point commun d’être occupés le plus souvent par des femmes et, surtout, d’être exercés dans des conditions de plus en plus difficiles, voire dangereuses pour les soignants et pour les soignées. Comment bien soigner et bien traiter des patient·es quand soi-même on est mal payé·es, peu considéré·es et soumis à un stress permanent au bénéfice du profit et de la rentabilité.
« La vieillesse est un naufrage », disait Châteaubriand, celui d’une société en tout cas, qui âgisent les femmes de plus en plus tôt, dans laquelle les personnes âgées dépendantes sont majoritairement des femmes, lesquelles sont aidées dans leur vieillesse par des femmes.
Comment rompre avec cette accumulation de violences qui voit des jeunes filles de dix-huit ans acheter leur première crème anti-rides, des acteurs toujours plus vieux partager l’affiche avec des actrices toujours plus jeunes, des femmes de cinquante ans exclues du marché de l’emploi, des filles, des nièces, chargées d’assister leurs aînées dans la vieillesse, des professionnelles sous-payées prendre en charge ce que la société refuse de voir et néglige à valoriser.
Depuis longtemps déjà, les es livres se suivent, les scandales aussi, on s’insurge, on pleure sur le sort de nos aîné·e·s mais c’est un fait : rien ne change jamais. Il est temps que le sujet fasse son chemin dans nos têtes et jusque dans les couloirs de l’Assemblée Nationale. Dans son programme de 2022, Emmanuel Macron consacre une page au grand âge, avec la prise de conscience qu’il faut alléger la charge des « aidants » et favoriser le maintien à domicile. On le sait, la logique de rentabilité est mortifère, la vieillesse est déshumanisée au point que, l’émotion passée, on finit toujours par ne rien faire. On sait aussi qu’il y aurait des solutions, des lieux plus ouverts, plus intergénérationnels, il faudrait plus d’argent aussi, une meilleure reconnaissance des métiers du “care”. Le débat qui s’annonce est important, la nécessité de prendre en considération les discriminations âgistes dont sont victimes les femmes porte en elle d’autres remises en cause nécessaires, celle du culte de la performance, celle de la compétitivité à tout crin, de la vitesse et de la puissance…
Camille Dumat