Les victimes des luttes environnementales

Lorsque l’on aborde le sujet de militant·es tué·es alors qu’iels essayaient de protéger l’environnement, la première image qui vient est l’affrontement avec des grandes industries polluantes ou des pilleurs de la nature. Durant cette dernière décennie, le nombre d’assassinats de militant·es écologistes dans le monde s’élève à 1743 personnes selon l’ONG Global Witness. L’ Amérique latine représente plus des trois quarts des attaques, avec le Mexique est en tête à cause des conflits à propos des terres et de l’exploitation minière. Nombreux·ses sont les militant·es indigènes tué·es au Brésil ou en Colombie alors qu’iels tentent de protéger la forêt amazonienne contre la déforestation, l’agriculture intensive, l’exploitation de pétrole ou de gaz ou encore les narcotrafiquants. L’Asie n’est pas en reste, tout comme les pays d’Afrique qui voient régulièrement les gardes de parc nationaux assassiné·es par des braconniers ou des factions armées qui veulent s’approprier les espaces et leurs ressources naturelles pour financer la guerre.
Aujourd’hui, une nouvelle menace met en péril la vie des militant·es écologistes : les États et leur police. Non pas dans des pays lointains ou dits « en développement », mais bien dans nos nations démocratiques. Les projecteurs sont braqués sur la France depuis de nombreuses années.
Rémi Fraisse, biologiste de 21 ans, fut la première victime de cette répression policière contre la lutte écologique et pacifiste. Il y a maintenant 10 ans, le militant succomba à l’explosion d’une grenade tirée par un gendarme lors d’affrontements entre des zadistes et les forces de l’ordre sur le chantier de la retenue d’eau controversée à Sivens dans le Tarn. Le Sud-Ouest est en proie à des conflits récurrents autour des retenues d’eau et l’agriculture industrielle. La mort de Rémi fut à l’origine de l’interdiction immédiate des grenades offensives responsables de ce décès. Cet accident n’a pas pour autant endigué la répression policière des mouvements écologistes en France.
Le 28 juin 2021, sur le pont de Sully, qui relie les 4e et 5e arrondissements de Paris, près de 400 militant·es écologistes d’Extinction Rebellion sont réuni·es pacifiquement pour bloquer des axes de circulation. La répression sera immédiate et violente. Les images des policiers utilisant sur les visages de jeunes et de familles du gaz lacrymogène feront le tour du monde. L’intensité des sanctions ne s’arrête pas là et atteint son paroxysme en mars dernier dans le département des Deux Sèvres à Sainte Soline. Là encore, le partage de la ressource en eau est le problème et se matérialise par les infrastructures jugées inutiles ou dangereuses pour l’environnement comme les mégabassines. Des dizaines d’escadrons de gendarmes mobiles, d’hélicoptères, de véhicules blindés, de canons à eau et des “armes relevant des matériels de guerre” d’après la défenseure des droits, seront mobilisés par l’État français pour empêcher plus de 10 000 militant·es d’approcher de la structure en construction. La violence de l’affrontement est décrite comme une scène de guerre. Deux jeunes hommes dont le pronostic vital engagé, une jeune femme au visage sévèrement atteint et trois journalistes comptent parmis les victimes. Les organisateurices comptent près de 200 blessé·es. C’est la première fois qu’un conflit aussi brutal se déroule autour d’une lutte environnementale.
La France n’est pas la seule à mettre la pression sur les luttes écologiques avec des moyens policiers. Dans l’ouest de l’Allemagne, des milliers de manifestant·es, dont la militante écologiste suédoise Greta Thunberg, ont convergé vers le hameau de Lützerath, dans l’ouest de l’Allemagne. Ils protestent contre l’extension d’une mine de charbon à ciel ouvert et l’expropriation des habitant·es du village. La police les repousse violemment, là encore, avec des armes létales. En Australie, les États fédérés multiplient les interpellations, les intimidations et les lois face à ceux qui luttent contre le dérèglement climatique. En Russie, les autorités continuent à violer les droits de manifestant·es pacifiques qui font campagne contre un projet de décharge près de Chiyes, dans l’oblast d’Arkhanguelsk (nord-ouest de la Russie). Enfin, les États-Unis ont connu en 2023, pour la première fois, la mort d’un activiste climat. Manuel Teran, étudiant·e non binaire connu sous le nom de Petite Tortue, a été tué·e par 13 coups balles lors d’une opération d’évacuation de la police à Atlanta. Iel occupait, avec d’autres activistes, une forêt sacrée destinée à être transformée en centre d’entraînement pour la police. Le cas du projet Cop City est révélateur de la répression grandissante des militants climat et d’une police étasunienne toujours plus armée et violente.
Les gouvernements considèrent de plus en plus les défenseur·es et la défense de l’environnement, au mieux comme une nuisance, au pire comme une menace, et répondent au militantisme légitime par des représailles, explique Dunja Mijatović, Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe. Elle continue en insistant que “certains laissent simplement le développement économique débridé prendre le pas sur les préoccupations environnementales légitimes des citoyen·nes, ou laissent les intérêts financiers et les puissants acteurs non étatiques étouffer le militantisme.”
Il est malheureux de voir qu’aujourd’hui, dans plusieurs pays, défendre l’environnement ou dénoncer les effets du changement climatique peut coûter très cher, voire au prix de sa vie.
Amandine Richaud-Crambes