Le diable ne s’habille pas en Prada, il préfère la peau de la planète et celle des ouvrières

Une usine de textile s’effondre au Bangladesh, 1300 mort·es et 2000 blessé·es. Le monde découvre alors les conditions inhumaines dans lesquelles sont fabriquées nos garde-robes. Nous sommes en 2003 et il y a quelques jours, le dixième anniversaire du drame été commémoré. L’occasion pour les médias du monde entier de faire un point sur l’impact environnemental mais aussi humain de l’industrie textile.

Mode, fast fashion, fast fast fashion, surconsommation, haute couture, malgré leurs différents noms, leurs impacts environnementaux restent les mêmes. L’ Ademe, agence française de la transition écologique, fait les comptes : l’industrie textile compte parmi les plus polluantes au monde et génère des millions de tonnes déchets. La filière mondiale du textile est l’une des plus consommatrices en eau, eau utilisée pour obtenir les matières premières, pour la transformation industrielle et pour le lavage. Sans parler de l’impact climatique : 4 milliards de tonnes de CO2 sont émises chaque année dans le monde pour la confection et le transport des vêtements et des chaussures, soit 8% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES). Son impact est plus important que les vols internationaux et le trafic maritime réunis ! La fabrication des vêtements et chaussures contribue à l’épuisement des ressources en eau et est responsable de 20% de la pollution des eaux industrielles. Elle est aussi à l’origine de pollution des sols, de la dégradation des écosystèmes et de la biodiversité, d’une consommation d’énergie très importante à toutes les étapes du cycle de vie. Au niveau du transport, même votre passeport n’est pas aussi tamponné. Par exemple, pour la fabrication d’un jean, on utilise du coton en provenance d’Inde, qui peut être filé, tissé, teint en Chine ou en Turquie, confectionné au Bangladesh, en Asie du Sud Est, Tunisie ou Turquie pour être vendu en France et partout dans le monde. Il peut ainsi faire des milliers de kilomètres. Chaque année, plus de 100 milliards de vêtements sont vendus dans le monde, et on en achète environ 60% de plus qu’il y a 15 ans.

Ce phénomène de gaspillage vestimentaire n’est pas uniquement néfaste à l’environnement et au climat. Les droits humains sont bafoués dans ces usines du monde se trouvant principalement en Asie du Sud-Est et en Afrique, comme nous l’a rappelé le drame du Rana Plaza au Bangladesh. Les scandales ne sont pourtant pas nouveaux. En 1996, un reportage au Pakistan montrant des enfants en train d’attacher des pièces de cuir pour en faire des ballons de football Nike, choque les consommateurices. Ces enfants, employé·e·s par des partenaires asiatiques des entreprises comme la marque Nike, travaillent dans des conditions déplorables. Les fondements des droits humains sont inexistants. Aujourd’hui, les conditions ont peu changé même si le travail des enfants tend à disparaitre. C’est vers la Chine que l’attention est portée avec notamment l’esclavage moderne et le génocide des populations Ouïghours. D’après l’Union Européenne, il y aurait aujourd’hui 600 000 travailleurs et travailleuses forcé·es, transféré·es dans des usines appartenant aux chaînes d’approvisionnement de 83 marques connues mondialement dans la technologie, le textile et l’automobile. Pour la mode, notamment quatre grandes enseignes textiles sont dans le collimateur : le japonais Uniqlo, le groupe espagnol Inditex, propriétaire de Zara et Bershka, le français SMCP (Sandro, Maje, Claudie Pierlot, De Fursac) et les fabricants américains de chaussures de sport Skechers, Nike et Adidas.

Les multinationales engrangent des milliards sur le dos des ouvrière·s, qui en bout de chaîne, se voient confisquer jusqu’à leurs vies pour habiller le monde entier. Les catastrophes se suivent et se répètent mais les conditions de travail restent peu ou prou les mêmes : des salaires indignes, largement en deçà du minimum vital, des cadences intenables, des objectifs de production irréalistes, et des droits sociaux souvent inexistants, le tout exposé·es à des produits chimiques toxiques qui perturbent le système hormonal et augmente les risques de cancer. Au Bangladesh, le salaire mensuel des usines textiles est de 83€, 85€ au Pakistan, 48€ à Madagascar ou encore plus bas, 23€ en Ethiopie. C’est moins que le seuil de pauvreté des pays.

Dans l’industrie du textile, la mode censée promouvoir les corps des femmes, n’a que faire de ses ouvrières. Car sans surprise, 70% des travailleurs sont des femmes, reléguées à des postes subalternes de production, plus exposées aux risques des polluants et avec des contrats précaires. Subordonnées à des contremaîtres majoritairement masculins, elles sont vulnérables par leur statut de femme à un quotidien rythmé par les violences de genre. Harcèlement sexuel, banalisation des brutalités, insultes sexistes, coups, voire agressions sexuelles sont leur quotidien. D’après les ouvrières interrogées, la majorité des faits ne sont pas signalés à la direction par peur de perdre son emploi. Depuis 2 ans, le Parlement Européen porte un projet de directive européenne sur le devoir de vigilance des géants du textile. Mais lors des négociations, une large partie de sa substance a été vidée grâce aux lobbies des multinationales qui pourront continuer d’exploiter ouvrièr·es et travailleureuses dans l’impunité la plus totale. Les eurodéputé·es peuvent maintenant choisir d’inscrire dans cette loi de véritables avancées pour les droits humains – et notamment sur les droits des femmes et environnementaux.

La garantie de bonnes conditions de travail dans le secteur du prêt-à-porter est donc aussi un enjeu féministe et doit être traité comme tel, avec une approche intersectionnelle car des facteurs supplémentaires de discrimination et de violences existent.

Chèr·es consommateurs et consommatrices, avant d’acheter un vêtement, rappelez-vous que non seulement votre impact sur l’environnement et le changement climatique est grave, mais que des femmes et minorités ethniques sont violentées pour que vous soyez à la dernière mode. Privilégions les pièces intemporelles, la seconde main mais aussi la mode responsable et les labels qui garantissent au moins les droits humains.

Amandine Richaud-Crambes

  • 17 mai 2023