La journée du 8 mars : Pourquoi ? Comment ?

Tous les ans, après Mardi Gras et avant le printemps, vient la journée du 8 mars, la Journée Internationale pour les droits des femmes, point d’orgue de la lutte féministe, où l’on peut mesurer le chemin parcouru, les contradictions, les éventuelles impasses, se retrouver toutes ensembles. Cette année 2023 est d’autant plus particulière que la journée de mobilisation féministe s’est fondue dans une période de contestation sociale très forte liée à la réforme des retraites (dont on a déjà vu dans Popol à quel point elle pénalisera les femmes), un moment de convergence des luttes inédit dont il serait bon de tirer si ce n’est des enseignements, du moins quelques avantages pour tout·es.
Cette année, plus que jamais, il nous a semblé intéressant d’interroger le sens de cette journée de mobilisation féministe, de revenir sur son histoire, son intérêt, la manière dont elle est comprise et, ce faisant, quel outil de lutte on rêverait qu’elle devienne. Parce qu’au-delà des bisbilles habituelles au sujet des mots employés (la fameuse « journée de la femme »), du pinkwashing des industriels et de la maladresse des uns et des autres (le chauffeur de Ouigo qui souhaite une bonne fête à toutes les femmes en arrivant en gare de Lyon, les boss qui offrent des roses à leurs salariées, les blagues misogynes sur fond de « on ne peut plus rien dire »), la journée du 8 mars est finalement assez peu connue et donc fort embrassée mais rarement bien étreinte.
La Journée internationale des droits des femmes s’enracine dans la lutte des ouvrières au début du XXème siècle pour de meilleures conditions de travail et l’obtention du droit de vote. De mémoire, la première Journée nationale de la femme (le terme est celui de l’époque “International Woman’s Day”) a lieu aux Etats-Unis le 28 février 1909 à l’appel du Parti Socialiste d’Amérique et de la militante Theresa Malkiel. En 1910, lors de la Deuxième Conférence internationale des femmes socialistes qui réunit une centaine de femmes venues de 17 pays, et à l’initiative de Clara Zetkin, il est décidé d’une “Journée Internationale des femmes”. Le 19 mars 1911, plus d’un million de femmes se mobilisent en Europe pour l’obtention du droit de vote et la lutte contre la discrimination au travail.
Le 8 mars 1917, des ouvrières russes se révoltent contre leurs conditions de travail et ce jour devient la date inaugurale de la révolution russe et continuera d’être instrumentalisée par les communistes après la seconde guerre mondiale pour “célébrer” les femmes avec tout ce que cela pouvait comporter de manipulation et de propagande.
C’est en 1977 que l’ONU décrète officiellement le 8 mars comme la Journée internationale pour les droits des femmes. En France, il faut attendre 1982 et les efforts conjugués du MLF et d’Yvette Roudy, alors ministre des droits des femmes, pour que le 8 mars prenne en France un statut officiel (sans qu’elle ne soit inscrite dans aucune loi, ni aucun décret).
Le but de cette journée : célébrer les avancées, sensibiliser aux inégalités de genre et se mobiliser pour faire avancer la lutte. Chaque année, un sujet en particulier est choisi. Saviez-vous que cette année 2023 était placée sous le signe d’un monde digital plus inclusif ? Les bienfaits de cette journée de mobilisation sont évidents, la couverture médiatique est forte, les plus jeunes sont en effet sensibilisé·es. Mais qu’en est-il de la mobilisation ? De son efficacité politique concrète ? De sa capacité à fédérer ?
Ce printemps 2023, nous rappelle à tout·es la nécessité d’user de notre force politique collective. En ce qui concerne les mobilisations féministes, on a vu en 2018, les féministes espagnoles s’emparer du 8 mars pour en faire une gigantesque journée de grève, avec 5 millions de femmes grévistes, des trains arrêtés, les rédactions des journaux et télé désertées de leurs employées et présentatrices féminines, un arrêt du travail domestique. Les espagnoles se sont inspirées pour cela de la journée de grève d’octobre 1975 où les Islandaises ont massivement cessé le travail professionnel et domestique pour demander la reconnaissance de leur participation à la vie économique du pays. Suivie par 90 % des Islandaises, cette grève a entraîné des changements législatifs majeurs.
Malgré les avancées, malgré le confort de la vie de certaines d’entre nous, nous vivons dans un monde où la violence patriarcale et politique continue de s’exercer. Les chantiers sont gigantesques en termes d’égalité professionnelle, en termes de justice, en termes de prévention des violences. Sans compter les inégalités au sein de la lutte féministe : toutes les femmes n’ont pas accès aux mêmes outils, aux mêmes espaces pour faire entendre leurs difficultés et leurs revendications. Ces inégalités et l’ampleur du combat qu’il reste à mener, posent la question de la grève générale, et de la grève des femmes en particulier. Que se passerait-il si les femmes cessaient d’aller chercher les enfants à la crèche, si elles cessaient de se présenter dans les hôpitaux, dans les écoles et tous ces métiers essentiels à l’économie où elles sont majoritairement surreprésentées et largement sous-payées ?
Avec Popol, nous formons ce souhait, que le 8 mars 2024 soit non pas une journée de colloques sur l’inclusivité dans le monde digital, mais une journée où toutes les femmes se mettent massivement en grève. De tous les outils à notre portée, c’est le plus efficace.
Camille Dumat