Eloge du “sportwashing”

“Ce matin, on a discuté avec la société avec laquelle on fait nos déplacements pour savoir si on ne pouvait pas se déplacer en char à voile”, lançait il y a quelques mois Christophe Galtier, entraîneur du PSG. A ses côtés, Kylian Mbappé, avait éclaté de rire trouvant la réponse du chef bien placée. Cet épisode, dénoncé même par certain·es fans de l’enfant chéri du football, reflète bien le paradoxe installé depuis quelques années dans le sport.
Le sport, c’est la santé, le bien-être physique et mental, le dépassement de soi, l’inclusion, la mixité, la géopolitique, les exploits, les rêves… C’est aussi un moment où règne l’harmonie intercontinentale lors d’évènements comme les jeux olympiques, les coupes du monde diverses, le tour de France, etc. Sur le papier, le sport est idyllique et rassembleur, il ne devrait susciter aucune critique tant l’imaginaire qui l’entoure est éclatant. Cependant, derrière cette image parfaite, un certain nombre d’effets collatéraux sont occultés comme l’impact environnemental ou les discriminations.
C’est lors des Jeux Olympiques de Londres en 2012 que, pour la première fois dans un événement de cette taille, se pose la question de l’écologie. Si, depuis déjà quelques années, le coût astronomique d’accueil de cette compétition divise la population, s’ajoute maintenant l’inquiétude autour de l’impact environnemental de celle-ci. Même si des efforts ont été faits depuis Londres, les résultats ne sont pas à la hauteur de l’urgence climatique. Lors de sa candidature aux JO 2024, Paris a d’ailleurs essayé de tirer son épingle du jeu en misant sur une communication “verte”. Les organisateurs annoncent un bilan carbone de 1,58 million de tonnes d’équivalent CO². Soit deux fois moins d’émissions que les jeux de Londres en 2012 et Rio en 2016, qui ont chacun rejeté dans l’atmosphère 3,5 millions de tonnes d’équivalent CO², et moins que les jeux de Tokyo de 2020, dont le bilan carbone s’est établi à 1,96 million de tonnes. En complément, pour réduire au maximum l’impact environnemental, l’organisation a adopté plusieurs mesures parmi lesquelles 95 % d’infrastructures existantes ou temporaires, des constructions moins carbonées ou encore une offre de restauration à 60 % végétarienne. Sur le terrain, ces objectifs semblent difficilement atteignables, les coûts financiers et environnementaux dérapent et les méthodes de prévision de CO² sont considérées non fiables. Le CIO est d’ailleurs devenu un professionnel du greenwashing. Il prétendait par exemple que les JO de 2022 en Chine étaient les plus écologiques du monde alors que la neige était à 100% artificielle et que le pays à détruit plus de 1000 hectares de zones naturelles pour faire place aux nouvelles installations. D’ailleurs les JO d’hiver sont une vraie aberration écologique et discriminatoire. Outre la neige qui tend à disparaître à cause du réchauffement climatique et l’eau pour produire des flocons artificiels qui se raréfie, ces jeux ne concernent qu’une infime partie de la population mondiale. Seuls 91 pays y participent contre 206 pour les éditions d’été. De même, les sports de neige concernent uniquement une population des pays nord souvent privilégiée et dont la présence féminine est inférieure par rapport aux épreuves d’été. Enfin, les JO riment aussi avec déplacements des populations les plus pauvres hors des villes, inflation des loyers ou encore morts au travail supérieures à la moyenne.
Construction de stades, déplacements des équipes et des supporters pour les compétitions, entretien des pelouses avec des pesticides, marketing, équipements imperméables et polluants… D’autres gros évènements mondiaux sportifs ne sont pas épargnés par les mises en cause écologiques et humanitaires de leur maintien. Par exemple, la coupe du monde de football au Qatar a été énormément décriée. 7 stades ont été construits sur des zones naturelles et cinq millions de tonnes de CO², soit plus de 5 % des émissions annuelles du pays en 2019, ont été produites selon les estimations de l’ONG Carbon Market Watch. Selon l’ADEME, plus de 80 % des émissions de gaz à effet de serre d’un évènement sportif sont liées au transport des personnes. Pour la coupe du monde qatarienne, c’est près de 3,8 millions de personnes qui sont venues dans les stades climatisés.
Si on évoque les transports, il est impossible de ne pas parler du Tour de France. Le vélo est le moyen de déplacement sobre par excellence. Mais les compétitions qui le promeut le sont beaucoup moins. En 2021, le Tour de France était responsable de l’émission de 216 388 tonnes de CO2 selon le cabinet EcoAct. Là encore, les transports représentent le plus gros de l’empreinte carbone : les déplacements de spectateurices, soit environ 10 millions de personnes sur trois semaines, correspondent à 84 % de l’impact carbone global du Tour. Sans oublier les caravanes qui accompagnent les cyclistes qui polluent également et qui distribuent près de 18 millions d’objets, la plupart du temps fabriqués en Chine et importés jusqu’en France, sous un emballage plastique, polluant et non biodégradable. C’est aussi trois hélicoptères de France Télévisions qui survolent chaque jour la course, un avion relais, pour que l’épreuve soit bien retransmise et des dizaines d’hélicoptères invités, des sponsors, des clients VIP, des journalistes, etc. Cela ne gêne pas que les écologistes. Guillaume Martin, leader français de l’équipe Cofidis qui prend part à son septième Tour de France, évoque sa culpabilité d’un point de vue écologique d’y participer. Et il n’est pas le·a seul sportif à dénoncer l’empreinte écologique de son sport. Certain·es vont même jusqu’à l’abandonner complètement par conviction.
Stan Thuret, skipper professionnel français, annonçait en mars 2023 qu’il mettait un terme à sa carrière devenue selon lui incompatible avec l’urgence climatique. Il dénonce l’élitisme de la course au large, son manque de diversité, mais surtout le fait “de truffer les navires de résines toxiques et de fibres non recyclables ; acheter, à chaque course, de nouvelles voiles en dérivé de pétrole, alors que les précédentes sont encore parfaitement fonctionnelles ; greffer aux coques des “foils”, des appendices qui permettent aux bateaux de voler au-dessus de l’eau, mais augmentent le risque de trancher en chemin une baleine. L’idéologie qu’on défend, c’est que tant qu’on a de l’argent, on peut réaliser son rêve, même si c’est au détriment des autres et de la nature”. Avant lui, le quadruple champion du monde de Formule 1, l’allemand Sebastian Vettel, abandonne aussi sa passion jugée trop polluante, tout comme Sarah Guyot, kayakiste française multiple championne du monde. D’autres font passer l’environnement avant leurs performances sportives comme Andy Symonds, athlète franco-britannique, qui avait annoncé sur Instagram renoncer à participer à des mondiaux de trail en Thaïlande expliquant que “[son] empreinte carbone pour 2022 sera d’environ 6,3 tonnes équivalent CO² C’est trop haut pour moi”. Enfin, la jeune génération de sportif·ves n’est pas en reste et fait des choix tout aussi radicaux. C’est le cas de l’espoir britannique de l’athlétisme Innes FitzGerald, 16 ans, qui a refusé de représenter son pays en Australie, en raison de l’impact des trajets en avion sur l’environnement. Elle va aux entraînements en vélo et effectue tous les déplacements en Europe en bus ou en train. Elle ne renie pas pour autant ses rêves olympiques mais compte le faire sans oublier l’urgence climatique. Les sportif·ves de la génération climat ne se laissent pas non plus avoir par le “sport washing” qui consiste d’accepter en sponsor les grandes entreprises les plus polluantes qui tentent de “laver” leur responsabilité dans le dérèglement climatique en finançant une activité aussi saine et consensuelle que le sport.
On connaissait le sport sexiste et validiste, on le connaît maintenant écocidaire et ultra-capitaliste. On est bien loin des bénéfices pour la santé et la reconnexion avec la nature. Mais encore plus que dans d’autres domaines, il ne faut pas être pessimiste, car les activistes du climat et celleux contre les discriminations veillent au grain. Le sport a su nous donner des moments historiques des droits humains comme en 1968 à Mexico avec le point levé des athlètes afro-américains devenus iconiques. On ne peut qu’espérer une image aussi forte pour la protection de la planète.
Amandine Richaud-Crambes