Drames de guerre

“N’oublions pas que la guerre contre la nature est en elle-même une violation massive des droits de l’Homme”, c’est par ces mots qu’Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies, concluait son discours lors de la COP 27. Si on réfléchit bien à cette phrase, on se rend compte qu’elle fonctionne aussi dans un autre sens. La guerre entre les humains est, en elle-même, une violation massive de la nature.

Si les morts et les atrocités qu’engendrent les guerres sont d’une gravité incontestée, il n’est plus possible de ne pas voir les conséquences environnementales qui surviennent lors de conflits armés : pollution des eaux, érosion des sols, destruction des forêts, annihilation de la biodiversité, etc. Ces conséquences à court, moyen et surtout long terme deviennent à leur tour un fléau pour les populations et les générations futures. Il est impossible de ne pas penser à l’actuelle guerre en Ukraine et à la destruction récente du barrage de Karkhova. Le Président Volodymyr Zelensky interpelle le monde par ces mots : “il s’agit de la plus grande catastrophe environnementale causée par l’Homme en Europe depuis des décennies […] la Russie est coupable d’un écocide brutal”.

Écocide brutal…Écocide… Même si ce terme est de plus en plus (re)connu et a fait son entrée dans les dictionnaires, son origine l’est moins. Le terme “écocide” a été construit à partir du mot “génocide” par le biologiste Arthur Galston au début des années soixante-dix. En effet, c’est à cette période que ce phytophysiologiste et bioéthicien américain dénonce pour la première fois les techniques de géo-ingénierie, c’est-à-dire capables de manipuler et de modifier l’environnement, utilisées comme arme de guerre au Vietnam. Entre 1961 et 1971, l’armée états-unienne déverse par les airs 70 millions de litres d’un puissant herbicide produit par la firme Monsanto, l’“agent orange”, sur les forêts vietnamiennes. L’objectif est de dénuder les arbres afin de mettre l’ennemi à découvert afin de multiplier les frappes ainsi que détruire les récoltes. À l’époque, l’indignation est mondiale. David Brower, fondateur de Friends of the Earth (Les Amis de la Terre), dira que pour la première fois “un pays fait la guerre à l’environnement pour annihiler l’adversaire”. La dioxine, perturbateur endocrinien, cancérigène et tératogène, va s’infiltrer et polluer durablement les sols et les eaux ainsi qu’affecter la santé des populations sur plusieurs générations. Si près de 4 millions de personnes ont été touchées directement, aujourd’hui, ce sont encore des centaines de milliers d’enfants qui présentent des anomalies congénitales sérieuses.

La stratégie de la terre brûlée et l’empoisonnement des sources se sont de tout temps révélés des armes de guerre redoutables. L’histoire contemporaine est semée d’exemples : Hiroshima et son désert nucléaire, la guerre des Six Jours et son conflit de l’eau encore vivace, l’attaque du Koweit où le pétrole brula et l’océan fut noir de l’or sale pendant des mois ou encore la RD du Congo, sa guerre civile, ses mines et ses forêts pillées pour ses minéraux rares.

Xénophon a dit : “La chasse est la véritable image de la guerre”. La chasse des hommes, des peuples, de la nature, des animaux, des femmes ; la chasse de l’humanité. Si on observe la guerre par le prisme de l’écoféminisme, les mots de Xénophon résonnent, tout comme ceux prononcés il y a quelques jours par Iryna Stavchuk, vice-ministre ukrainienne de l’environnement et des ressources naturelles : “La nature n’a pas de frontières, et elle est aussi violée et torturée par l’invasion russe”.

On estime que le nombre de pertes civiles dans les conflits actuels avoisine les 90 % et concernent pour la plupart des femmes et des enfants. D’après l’ONU, il y a encore un siècle, 90 % de ceux qui mouraient à la guerre étaient des soldats ou faisaient partie du personnel militaire. Bien que les conséquences des conflits armés frappent les communautés dans leur ensemble, elles affectent plus particulièrement les femmes et les filles du fait de leur statut social et de leur sexe. Les parties impliquées dans les guerres pratiquent souvent le viol des femmes et ont même recours au viol systématique comme tactique de guerre. Le meurtre, l’esclavage sexuel, la grossesse et la stérilisation forcées constituent d’autres formes de violence à l’égard des femmes commises dans le contexte de conflits armés. Lors de la cérémonie de remise du Nobel de la paix, le docteur Denis Mukwege parle en ces termes de cette triste réalité : “Il y a deux façons de tuer son ennemi : la première, la plus simple, le tuer. La deuxième, moins évidente à première vue, s’emparer des femmes de sa famille, les retenir, les torturer, les violer et, dans la mesure du possible, le faire savoir”. 

Amandine Richaud-Crambes

  • 18 juin 2023