Au Soudan, l’espoir des Kandaka ?

Depuis deux semaines, le conflit qui a éclaté entre 2 généraux et leurs armées respectives a contraint près d’1 % de la population à se déplacer, à l’intérieur ou hors des frontières du Soudan. Les affrontements sont localisés à Khartoum et au Darfour mais l’exode est partout. « Devant la dégradation rapide » de la crise humanitaire, l’ONU a envoyé un représentant qui a déclaré que la « situation humanitaire atteint un point de rupture » malgré la trêve déclarée, qui ne fait pas taire les armes. Des élections étaient prévues en juillet 2023. Chez Popol, on a décidé de vous faire un petit retour sur la représentation politique au Soudan et le rôle des femmes dans la société.
Disparition des figures féminines iconiques dans l’espace public
« Eliminez les femmes, car si vous les éliminez, vous éliminez les hommes ». C’est comme cela qu’un officiel soudanais justifiait la répression qui ciblait les femmes lors de la révolution de 2019 qui a mis fin au pouvoir d’Omar Al Bachir. Selon la BBC, elles représentaient 70% des manifestant·es. Ellen Johnson Sirleaf, ex-présidente du Liberia (2006-2018) et Prix Nobel de la Paix en 2011 a d’ailleurs déclaré que « la révolution démocratique au Soudan n’aurait pas été possible sans les femmes ». Pendant les 4 mois de cette révolution, les femmes – notamment jeunes et urbaines – ont joué un rôle central dans la mobilisation. Rien d’extraordinaire car elles ont toujours joué un rôle important dans la société. À l’époque, Alaa Salah, cette jeune femme en blanc devenue le symbole de la révolution de 2019, était déjà la cible de menaces de mort. Elle est aujourd’hui en exil au Royaume-Uni. Alaa Salah a toujours considéré son combat héritier des Kandaka, le titre qu’on donnait aux reines de la Nubie antique à la tête de sociétés matriarcales.
Après l’éviction d’Al Bachir et dès que le processus politique a repris son cours, le gouvernement civil, dominé par des partis politiques eux-mêmes dominés par des hommes, a exclu les femmes. Il compte 4 femmes en poste sur 24 membres : Batoul Abbas Allam Awad pour l’Industrie, Amal Saleh Saad au Commerce, Ilham Madani Mahdi pour l’Investissement et la Coopération internationale et Souad Al-Tayeb Hassan au Travail. Avant de quitter le pouvoir en 2021, le chef de ce gouvernement – Hamdok – avait déclaré à la télévision qu’il avait fait de son mieux pour éviter que le pays ne tombe “dans le désastre” et qu’il n’y était pas parvenu. Il démissionne en janvier 2022, laissant son poste vacant et géré par intérim par le Général Al Burhan, l’un des deux généraux à l’origine des derniers affrontements.
La militarisation du pouvoir politique : menace principale pour les femmes
Avec l’établissement d’un gouvernement civil, les lois sur l’ordre public qui édictent le dress code des femmes en public ont été abolies (2019), les mutilations génitales ont également été criminalisées (2020), punies de 3 mois de prison et d’une amende. Les militantes ont continué leurs combats, notamment en 2021 avec la campagne « Rape will not stop us » pour dénoncer les violences sexuelles commises par les forces de l’ordre. La création d’une Commission sur le Genre et les Femmes a été proposée. Mais tout cela a été remis en question très rapidement avec l’arrivée au pouvoir d’Al Burhan. La militante féministe Amira Osmane Hamed a notamment passé une semaine en prison en 2022, victime d’arrestation arbitraires pour avoir critiqué son pouvoir, à l’image du traitement réservé aux militants d’opposition.
D’après l’Action pour les droits des femmes soudanaises (SUWRA), « le simple fait de marcher dans les rues est un risque majeur dans de nombreux quartiers de la capitale [en raison de la présence de troupes militaires à Khartoum] », des centaines de femmes ont été arrêtées, les discussions sur les questions relatives aux droits des femmes sont mises de côté ou empêchées dans les médias publics et les institutions gouvernementales, les groupes de femmes n’ont pas pu reprendre leur travail – en particulier dans les domaines des droits des femmes – des femmes dirigeantes et membres de syndicats professionnels et syndicaux ont été menacées de licenciement en raison de leur soutien au mouvement de protestation contre le pouvoir militaire.
Aujourd’hui, des preuves de violences sexuelles sont déjà recensées comme armes de répression.
Clothilde Le Coz